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La compétence du juge français pour ordonner des mesures d’instruction dans un litige relatif à la commercialisation de paillettes

En plein milieu du confinement, un étalonnier français a découvert qu’une société de vente aux enchères néerlandaise avait mis plusieurs paillettes en vente, provenant d’étalons dont il était le seul et unique propriétaire.

Face à la difficulté de prouver à qui appartenait ces paillettes à la date de mise en vente aux enchères, l’étalonnier a assigné la société de vente aux enchères néerlandaise devant le président du Tribunal de commerce de Caen sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

Aux termes de l’article 145 du Code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il s’agit d’une procédure permettant, avant tout procès, de récupérer des preuves.

En première instance, la société de vente aux enchères néerlandaise, notre client, a été condamné à communiquer un certain nombre de documents relatifs à la vente des paillettes litigieuses en ligne ainsi que les acheteurs et vendeurs de ces paillettes.

Nous avons été mandatés pour reprendre ce dossier en appel, devant la Cour d’appel de Caen.

Dans l’analyse initiale du dossier, nous avons vu que notre client néerlandais avait été assigné devant les juridictions françaises sur le fondement de l’article 7 du Règlement Bruxelles bis 1 aux termes duquel en matière délictuelle ou quasi délictuelle, la juridiction compétente est la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

En effet, l’étalonnier avait prévu, une fois documents communiqués dans le cadre de la procédure de l’article 145 du Code de procédure civile, d’assigner notre client sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Toutefois, en matière de mesures provisoires et conservatoires pouvant être demandées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, c’est l’article 35 du Règlement Bruxelles Bis 1 qui s’applique, aux termes duquel, « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond« .

La notion de « mesures provisoires ou conservatoires » de l’article 35 constituent une notion autonome du droit européen qui ne doit pas être interprétée au regard des conceptions du droit français mais selon l’approche constitutive de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

La compétence du juge français dépend ainsi du type de demande.

Ainsi, selon un arrêt de la Cour de Justice rendue par l’Union Européenne le 26 mars 1992, il y a lieu d’entendre par « mesures provisoires ou conservatoires », les mesures qui, dans les matières relevant du champ d’application du règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond (CJCE 26 mars 1992, aff. C-261/90, Reichert [Cts] c. Dresdner Bank AG, pt 34, D. 1992. 131).

A titre d’exemple, la Cour de Justice de l’Union Européenne a décidé qu’une mesure ordonnant l’audition d’un témoin dans le but de permettre au demandeur d’évaluer l’opportunité, le fondement et la pertinence d’une action au fond ne n’est pas constitutive d’une mesure conservatoire et provisoire au sens de l’article 35 du règlement Bruxelles I (CJCE, 28 avril 2005, C-104/03, St. Paul Dairy Industries NV / Unibel Exser BVBA, point 25).

La Cour de cassation, par un arrêt de principe du 27 janvier 2021, rappelle parfaitement cette distinction jurisprudentielle sur laquelle est fondée la compétence du juge français pour imposer des mesures ordonnées au titre de l’article 145 du Code de procédure civile à une partie résidant dans l’Union Européenne (Cass. civ. 27 janvier 2021 n°19-16917).

Ainsi, la Cour de cassation rappelle que les mesures de l’article 145 du Code de procédure civile visant à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond sont des mesures conservatoires et provisoires au sens de l’article 35 du règlement Bruxelles I et relèvent de la compétence de la juridiction française (CJCE 26 mars 1992, aff. C-261/90, Reichert [Cts] c. Dresdner Bank AG, pt 34, D. 1992. 131.

En revanche, la juridiction française n’est pas compétente pour ordonner des mesures probatoires qui ont pour objectif d’évaluer la pertinence d’une action judiciaire au fond (CJCE, 28 avril 2005, C-104/03, St. Paul Dairy Industries NV / Unibel Exser BVBA, point 25).

Par un arrêt de la Cour d’appel de Caen du 19 mai 2023, la Cour d’appel a validé notre argumentation, infirmé l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Caen en ce qu’il avait retenu la compétence du juge français pour ordonner la communication des documents.

En effet, la Cour d’appel de Caen a retenu :

« il n’est toutefois pas allégué par celle-ci que la demande de communication de pièces a pour objet en l’espèce la sauvegarde de preuves existantes qui seraient menacées de destruction ou de dépérissement. Aucun argument n’est développé en ce sens.
Il n’est ainsi pas justifié, ni invoqué, d’urgence particulière nécessitant de conserver des preuves menacées de conservation, ni fait état d’un risque particulier que la production des documents sollicités ne pourrait plus être obtenue ultérieurement.
Au vu de la nature des pièces dont la communication est demandée, aucun élément du dossier ne permet de retenir que la demande a pour objet de prémunir la société GFE contre un risque de dépérissement d’éléments de preuve dont la conservation pourrait commander la solution du litige.
Dès lors, la compétence du juge français ne peut être retenue et l’ordonnance entreprise est infirmée en toutes ses dispositions, dans les limites de l’appel« .

Retrouvez la décision en intégralité ici : Cour d’appel de Caen du 19 mai 2023

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